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Blog d'écriture de Julien Ducrocq
6 juin 2017

La licorne de l'insomnie - partie 1

J'ai présenté cette nouvelle à un concours. J'ai terminé 4ème sur 8, mais la nouvelle avait été pas mal appréciée ^^  Qu'en pensez-vous ?

La Mort frappe au moment où on ne l'attend pas.

Je m'agenouille devant la plus grande et la plus belle tombe du cimetière. Une tombe en granit brut. La personne qui repose dessous m'est très chère, et pourtant je n'arrive même plus à me rappeler son visage. Pire encore, je ne suis même pas assez triste pour pleurer.

J'ai oublié de le préciser, ce cimetière est le pire de tout le pays ! Ici, nulle stèle de marbre, nulle croix de pierre. Des croix de bois toutes moisies surplombent des plaques de ciment à peine polies. Le tout est plus tagué qu'une voix ferrée de la banlieue parisienne, bien sûr. Le cimetière, petit carré entouré de barbelés, se situe au milieu d'un terrain en friche. Une petite cabane en bois sert de résidence au gardien. L'entrée, une petite barricade branlante, qui crisse horriblement quand on l'ouvre, jouxte la cabane.

Quant aux corps, ils ne sont même pas correctement enterrés. Des glissements de terrain ont extirpé une bonne partie des cadavres de leur dernière demeure, et comme la mairie n'a pas les moyens de tous les enterrer de nouveau, on les jette dans la fosse commune juste à côté et la pluie, les vers et le soleil se chargent de les détruire. En même temps, pour un trou paumé au fin fond de la cambrousse, c'est déjà un luxe d'avoir un cimetière !

Si j'avais un soupçon de courage, j'irais voir le maire et le forcerais à changer les choses, je mettrais fin à cette horrible plaisanterie. En attendant, trop lâche pour agir, je hurle, laboure la terre de mes poings.

Quelques personnes marchent dans les allées boueuses. Je leur demande de se rebeller, de cesser de cracher sur les morts. Nul ne m'entend. Tous passent devant moi comme si je n'existais plus. Que je crie, que je hurle, rien n'y fait. Les uns après les autres, ils quittent les lieux et retournent à leur misérable vie.

Le cimetière est éclairé par un magnifique coucher de soleil. Exactement en son centre, le seul arbre, un majestueux chêne d'une centaine d'années environ, donne de magnifiques fleurs jaunes, et pourtant ce n'est même pas le début du printemps. Même la nature se moque de nous.

La nuit commence à tomber. Des feux follets émergent des dizaines de corps en décomposition. Plus personne ne visite le cimetière. En théorie, à une heure pareille, le gardien devrait me virer... mais comme d'habitude, il a certainement trop bu pour être en état de faire quoi que ce soit.

Cette tombe m'attire irrésistiblement. J'aimerais rentrer chez moi, cesser de penser à la fatalité de la mort. Le cimetière tout entier m'interdit de partir. Il m'oblige à rester là et à méditer sur le sens de la vie. Pour toute la nuit. Pour toute l'éternité.

La pleine lune s'élève dans les étoiles. Tant mieux, admirer le ciel nocturne me changerait les idées ! Hélas, comme chaque soir, les motards du village sont de sortie. Leur vrombissement m'insupporte plus encore que d'habitude. Déterminé à les faire taire, je m'arrache à ma contemplation et m'avance vers l'entrée. Le bruit s'amplifie. J'ordonne à ces voyous d'arrêter leur vacarme immédiatement. Je menace d'appeler la police.

Des pas précipités retentissent dans la rue. Des cris de joie se mêlent au bruit infernal des motos. Même le 14 juillet n'est pas aussi animé ! Les motards roulent, roulent... Je regarde par-dessus la barricade... je ne vois personne ! Dehors, la sombre ruelle uniquement éclairée par la lune.

Rien qui ne pourrait produire un tel vacarme.

Dans un craquement assourdissant, la barricade vole en éclat. Cinq grosses motos viennent de la percuter de toute leur puissance. À leur suite, des personnes vêtues de lourds manteaux noirs, portant un crâne en guise de masque, pénètrent en masse dans la cimetière. Paniqué, je cherche une échappatoire. Le terrain en friche ? Trop d'orties, je serais ralenti ! Se cacher dans une tombe ouverte ? Impensable ! Il ne me reste plus qu'une cachette : en haut du chêne.

Je pique un sprint vers le grand arbre. Les motos slaloment autour de moi. Les autres approchent, traînant les pieds, tripotant une chaîne phosphorescente autour de leur cou. En moins de deux, j'atteins l'arbre et bondis sur la branche plus basse. Dès que je trouve mon équilibre, je grimpe avec l'agilité d'un écureuil. Bientôt, je me retrouve au sommet de l'arbre. Je me place à un endroit d'où je peux voir ce qui se passe en-dessous.

Les motos roulent en cercle autour de l'arbre, m'envoyant leur gaz en pleine figure. L'un d'eux exécute un dérapage et saute de sa moto avec style. Aussitôt à terre, il décharge un gros coffret métallique de son véhicule et en sort une hache d'au moins un mètre de long ! Que compte-t-il faire avec un tel engin ?

Encouragé par ses camarades, le pseudo-bûcheron recule sa hache et frappe. Le tronc entier de l'arbre s'en trouve ébranlé.

– Vous êtes fous ! hurlé-je, sans me soucier d'être découvert. Vous voulez ma mort, c'est ça ?

De derrière son masque, ses yeux m'adressent un regard méprisant. Ce que je dis le laisse complètement indifférent. Il continue son action, creusant une large encoche dans le tronc du chêne. L'arbre n'en finit plus de trembler. Je peux presque l'entendre pousser des cris d'agonies, lui qui, impuissant, ne peut éviter son destin. Tout aussi impuissant, je crie de ma voix la plus aiguë :

– Arrêtez ! Laissez cet arbre tranquille !

Loin de s'arrêter, le bûcheron rit, bientôt accompagné de toute sa clique. Un autre motard s'arrête. Il pousse son compagnon sans ménagement, un objet encore plus inquiétant entre les mains. Il presse un bouton et dans un vrombissement démarre la tronçonneuse. La machine fait un bruit horrible en sciant le tronc. J'ai la tête qui tourne, je panique complètement. Heureusement, je garde assez de sang-froid pour sauter avant que l'arbre s'écroule. Je roule sur le sol. Sonné, je contemple le chêne qui meurt dans un effroyable craquement.

Je reprends doucement mes esprits. Les fous furieux n'ont pas fini leurs idioties. À la place de l'arbre tout juste déraciné, dont le tronc gît sur plusieurs tombes, ils installent une petite estrade. Je réalise alors à quel point ils sont nombreux. Un bon millier de gens, voir encore plus, s'agglutinent dans le pauvre petit cimetière, le remplissant presque entièrement et déchaînant leur furie. On se croirait à Woodstock. Ils cassent tout, renversent les croix, piétinent les tombes. Leurs motos gisent sur les parterres de fleurs.

Un tel irrespect me met hors de moi. Je bondis sur l'un des vandales. Très costaud, il encaisse le choc sans gémir mais tombe à la renverse. Dans sa chute, il perd son masque de crâne qui dévoile un visage qui n'a plus rien de normal. Un trou gros d'au moins deux centimètres se loge dans son front. Les autres hurlent de rire. Ils enlèvent d'eux-mêmes leurs masques. Je n'en crois pas mes yeux. Entre ceux qui ont perdu une oreille, un œil, un nez ou carrément la tête entière, je ne saurai dire qui est le plus effrayant. Certains enlèvent carrément leur veste qui dévoile des bras incomplets et des torses perforés.

Pétrifié, je me recroqueville en position fœtale, petite chose tremblante parmi une assemblée de démons. Je les entends ricaner, je les sens monter leur fichue estrade. Ils donnent des coups de marteau, plantent des clous dans le bois... d'un moment à l'autre, leurs pieux, ils les planteront dans mon cœur !

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  • Fan de romans fantastiques et de SF sous toutes ses formes, j'aimerais partager avec vous ma passion de l'écriture. À la recherche d'un éditeur pour mon premier roman, la Libération de Seth, j'attends vos avis et vos conseils avec impatience.
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