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Blog d'écriture de Julien Ducrocq
22 mai 2016

Toxic Partie 1

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Un temple gigantesque s'élevait sur la place de Casa Negra, l'oasis au milieu de ce désert sans fin. Protégée par une grande muraille de grès, elle abritait des parcs magnifiques où s'alignaient des palmiers, harmonieusement mêlés à des orangers et des oliviers. Des fleurs qu'on ne trouvait nulle part ailleurs, dont le cœur revêtait des formes géométriques au nom imprononçable, exhalaient une ravissante odeur. Chacune de ces plantes était purement artificielle, mais ça, les prêtres le cachaient soigneusement à la population. Ils gardaient jalousement tout produit de la haute technologie et laissaient les autres pourrir dans leurs maisons de pierre.

Le Grand Prêtre monta sur le piédestal, de la même couleur ocre que l'édifice religieux au fronton triangulaire orné de sculptures nacrées. Son visage se couvrit d'un sourire satisfait lorsqu'il remarqua que la foule avait encore gonflé. Tout le menu peuple, des simples fermiers jusqu'aux habiles artisans, le contemplait en silence. Il commença à ouvrir le Livre Sacré, mais le referma très vite. Après tout, il connaissait par cœur son baratin mystique.

– Mes frères, mes sœurs. Vous connaissez déjà les Sept Pêchés capitaux, ces fléaux qui ont transformé les hommes les plus purs en êtres vils et cruels. Maintenant, imaginez un produit qui vous rende plus affamés que l'avarice et plus dangereux que la colère elle-même.

D'un claquement de doigts, le saint homme fit venir deux de ses subalternes, vêtus de longues robes bleues ridicules face au tissu émeraude de leur maître. Ils portaient une lourde jarre transparente remplie d'un liquide tout aussi transparent, dont la simple vue fit paniquer l'auditoire. Les corps s'entrechoquaient dans des cris effrayés et effrayants. Il fallut toute la voix du prêtre pour obtenir le silence.

– Oui, ce liquide qui vous effraie tant, on l'appelle eau. Transparent, incolore, inodore, il a tout l'air d'un innocent breuvage. Mais buvez-en et Dieu vous abandonnera, il vous laissera sombrer dans les abîmes de la folie. Les impies qui vivent par-delà nos murailles ont osé en boire et, pis encore, ils veulent vous en vendre, à vous, honnêtes et pieux citoyens de Casa Negra. Maintenant, ils vont tout faire pour pénétrer ici et instaurer leur loi... Dieu seul sait ce qui vous arriverait alors.

Tout un chacun tremblait de peur à l'idée de boire de l'eau de force. La plupart connaissait la Grande Épidémie, lorsque tout un pays avait été ravagé par une simple flaque d'eau... Quelle idée ils avaient eue d'ingérer une telle horreur !

– Nous avons terriblement peur de ces renégats, aussi nous vous demandons de les tuer avant qu'ils ne s'organisent. Pour continuer à vivre dans la paix de Dieu, enrôlez-vous dans l'ordre des Capes Blanches !

Un cri de triomphe surgit de toutes les bouches. Les plus jeunes levèrent le bras, impatients de contribuer à la survie de leur ville. Les prêtres distribuèrent à tous les volontaires des pistolets désintégrateurs. N'importe laquelle de ces armes les tueraient en un seul tir, aussi avaient-ils prévus des champs de force personnels. En dépit de la foi aveugle qui anime le peuple, nul homme, si saint qu'il soit, ne prendrait le risque de donner une arme mortelle sans aucune parade.

Mel et Anatole, deux jeunes hommes espiègles, étaient surexcités. De toute leur vie, ils n'avaient jamais pu sortir de la ville, et ils se demandaient ce qui pouvait bien se trouver en dehors de ses frontières. Toute leur enfance, ils avaient suivi l'enseignement religieux, mais ni l'un ni l'autre n'avait réussi à y adhérer complètement – après tout, faire l'école buissonnière un jour sur trois n'aidait pas. Faire partie du commando donnerait du piment à leurs vies et était le seul moyen de découvrir l'extérieur.

– Que Dieu vous garde, déclara le Grand Prêtre en faisant un signe de croix.

Il baissa un levier qui ouvrit l'accès à un grand bassin d'Huile de Dieu. La foule toute entière se jeta dessus, et but à grandes gorgées son contenu vert émeraude. Les gens n'hésitaient pas à plonger dedans pour en absorber le plus possible. Après tout, c'était bien le seul cadeau que Dieu leur concédait.

Mel et Anatole firent leurs adieux à leur famille et rejoignirent les chevaliers de l'ordre des Capes Blanches. On pourrait imaginer cet Ordre ancien, mais ce n'était que sa première campagne. Aussi, les jeunes de la ville les plus motivés avaient suivi des années d'entraînement au combat ; corps à corps, tir désintégrateur de près comme de loin et tout l'endoctrinement qui va avec. Tous n'attendaient qu'une chose : tuer son premier impie. Pour eux, la guerre n'était qu'un jeu qu'ils devaient absolument gagner.

La cohorte se dirigea vers la caserne, effrayant au passage tout le monde sur l'avenue. Le bâtiment militaire ne s'élevait guère aussi haut que le temple mais prenait plus de surface au sol. Ses parois de grès formaient un cercle d'une cinquantaine de mètres de rayon, percées de multiples portes blindées. Si l'édifice s'imposait par ses proportions, il n'avait pas la moindre valeur esthétique.

– Tu crois qu'on va encore s'entraîner ? Moi j'en peux plus ! ronchonnait Mel, un petit phénomène très nerveux et pas patient pour un sou.

– Tu n'as donc rien écouté ? s'indigna Anatole, le premier de la classe par excellence. On prend juste un dernier repas avant de faire notre sortie.

– Vivement qu'on sorte de ce trou !

Un officier intégralement vêtu d'une cape blanche fit tomber le jeune homme d'un coup de crosse au visage. Le nez en sang, ce dernier jeta un regard dédaigneux à son agresseur.

– Votre entraînement est peut-être terminé, mais si vous voulez participer aux Croisades, vous devrez apprendre la discipline !

Anatole aida son camarade, sans prendre garde aux yeux qui le fusillaient, et les deux compères rejoignirent la queue du réfectoire. Pleine à craquer des quelques cinq cents nouvelles recrues, la salle sans fenêtres, éclairée par un grand chandelier, ressemblait à une cave à vins. À peine installés, les jeunes dévoraient leurs plats de semoule en spéculant sur les combats à venir. Ils se voyaient déjà affronter une armée invincible de soldats vêtus d'armure d'argent, comme dans les contes de fées. Qu'ils furent déçus, aux vestiaires, quand ils enfilèrent un simple uniforme blanc et se coiffèrent d'une casquette !

Lorsque chaque unité fut formée et prête à partir, le Grand Prêtre encouragea personnellement chacun de ses nouveaux soldats, il leur versa notamment de l'Huile de Dieu sur les cheveux. Les guerriers fulminaient, prêts à en découdre. Chaque groupe suivit son instructeur jusqu'aux portes sud de la ville. On aurait dit des Romains en ligne parfaite, mais avec le sérieux en moins. Beaucoup chantaient pour refréner leurs ardeurs, et comme les chefs les laissaient faire, cela engendrait une cacophonie de tous les diables !

Le portail de métal rouillé faisait tache parmi les remparts de grès, mais cela aucun belligérant ne le remarqua. Les lourds battants s'ouvrirent dans un raclement insupportable, qui obligea les vaillants combattants à se boucher les oreilles. Lorsque le monde extérieur se dévoila sous leurs yeux, Mel et Anatole restèrent pétrifiés. Sur les pentes de petites dunes de sable, des maisons faites de bric et de broc montent les unes sur les autres, toutes concentrées autour d'un énorme bidon, certainement rempli d'eau, la boisson du Diable !

Le Grand Prêtre, au sommet des remparts, ordonna l'assaut d'un simple mouvement de bras. La cohorte de jeunes en uniforme s'abattit sur le pauvre bidonville en vociférant : « Mort aux impies ! » Mel et Anatole, un peu moins enthousiastes que les autres, hésitèrent un instant. Bien malgré eux, le courant meurtrier les emmena dans la bataille, si on peut appeler cela ainsi. Comment tirer gloire d'un massacre d'hommes, de femmes et d'enfants sans arme aucune ?

En quelques instants, les armes avaient achevé de désintégrer tous les rebelles de ce campement. Ce combat n'avait rien à voir avec tout ce que Mel et Anatole avaient imaginé : la folie pure avait définitivement supplanté l'héroïsme, à la grande satisfaction des prêtres. Jubilants, ils ouvraient les plus grandes piscines d'Huile de Dieu de la ville et laissaient tout le monde se jeter dedans. Les hommes agissaient comme des porcs qui prenaient des bains de boue.

 

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  • Fan de romans fantastiques et de SF sous toutes ses formes, j'aimerais partager avec vous ma passion de l'écriture. À la recherche d'un éditeur pour mon premier roman, la Libération de Seth, j'attends vos avis et vos conseils avec impatience.
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