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Blog d'écriture de Julien Ducrocq
23 avril 2015

Lune d'argent

Une maison longue amérindienne est une habitation traditionnelle des Indiens d'Amérique du Nord

En réponse à un défi littéraire, j'ai écrit cette nouvelle qui brode une histoire à partir d'un article de wikipédia... Répondre à ce défi fut plus dur qu'il n'y paraît !

super-lune



Le site archéologique de Lanoraie, qui se situe près de Montréal au Québec, possède encore des traces de maisons longues iroquoises. Ce site se déploie dans un champ de montagne de sable, formé par le vent, à environ un kilomètre et demi à l’ouest du village de Lanoraie et à un kilomètre au nord des rives actuelles du fleuve Saint-Laurent.
« L’environnement sablonneux de la région était avantageux pour l’horticulture telle que pratiquée anciennement par les groupes autochtones sédentaires qui habitaient la région entre les années 1200 et 1600 » citait Abraham qui connaissait par cœur l'histoire des Indiens. Ce jeune homme féru d'archéologie tenait à tout prix à emmener ses trois comparses, George, Thomas et Theodore, camper toute une nuit sur le célèbre site de Lanoraie à deux pas de chez eux. Ils avaient tout mis en place plusieurs mois auparavant, procédant avec ordre et méthode pour discriminer le nécessaire de l'inutile, et surtout pour éviter de se faire prendre une fois sur place. Il était, évidemment, strictement interdit de camper sur un tel site, ce qui rendait la chose beaucoup plus excitante.
– Eh, vous savez quoi ? « Une récente fouille a permis de trouver des traces d’une maison-longue mesurant 29 mètres de long par environ six mètres de large. 233 traces de piquets démontrent l’ampleur de...
– Tais-toi un peu, l'intello ! grogna Theodore, rustre à l'extérieur mais doux comme miel à l'intérieur. Tu ruines tout le charme.
Et Abraham rabattit enfin son caquet. Quel bavard, celui-là ! Néanmoins, lorsqu'il sortit de son paquetage un grand sac de marshmallow et entreprit de faire un feu dans une fosse gris pierre il ne savait pas que cinq siècles auparavant les Indiens faisaient rôtir leurs trophées de chasse exactement au même endroit. Dans certaines maisons longues, on avait retrouvés jusqu'à cent quarante foyers de ce genre.
– Moi, j'aimerais bien savoir à quoi ça ressemblait avant, ici, protesta Thomas, le plus rêveur des quatre. Teddy, pour une fois, tu aurais pu fermer ta grande gueule et le laisser parler !
Comme Théodore marchait vers Thomas d'un pas menaçant et se posta face à lui, le dominant de toute sa hauteur, George le diplomate intervint :
– ARRETEZ ! Teddy, laisse Thomas tranquille, et toi, Abby, débite tes cours d'histoire à ceux que ça intéresse. Relax, les gars, c'est les vacances !
Bien qu'Abraham ait organisé toute l'opération, l'autorité de George faisait de lui le leader incontesté. À treize ans à peine, il dégageait plus forte impression que bon nombre d'adultes. Tout le village le savait : George était né pour diriger. Et ses trois amis, la tête basse, déballèrent les affaires et préparaient la nuit qui se profilait déjà. Fatigués comme ils l'étaient par leur longue après-midi de vélo, ils ne tarderaient guère à s'endormir.


Au beau milieu de la nuit, un grondement, comme un éclair s'abattant sur la terre, réveilla Thomas. Debout, droit comme un I, il regardait ses amis, se demandant s'il ne devait pas les réveiller à leur tour. George lui-même dormait si bien qu'il n'avait plus rien de menaçant. Fallait-il réellement le tirer de son profond sommeil ?
« Nous vivions du haricot et du maïs, de la pluie et du vent, de la terre et de la pierre. Il nous fallait des champs pour nous nourrir, du bois pour nous chauffer et des maisons pour nous abriter. Ah, Lune d'Argent avait raison ! En perdant notre vie de nomade, nos vies ont perdu leur sens. »
La voix, grave et forte, venait de partout et de nulle part. Une légère brise caressa les cheveux de notre rêveur, une brise qui charriait une odeur de pin chargée d'histoire et de spiritualité. Thomas ne put résister. Il oublia son sommeil, sa faim et ses amis pour marcher dans la direction du vent et découvrir le berceau de ces ancêtres. Si ses parents et ses professeurs le niaient, ça ne lui faisait aucun doute : du sang indien coulait dans ses veines.
Un peu plus loin, dans une clairière qu'il jurait n'avoir jamais vue, un tas de bois se consumait dans un gigantesque brasier. Une silhouette vacillait, les mains tendues à quelques centimètres du feu. Lorsqu'elle se retourna, le vent souffla en sens inverse, rabattant les cheveux de Thomas vers l'arrière. Une peau mate entre l'ocre et le brun, un visage ravagé par les ans mais illuminé par de grands yeux verts, le tout surmonté de longues tresses noires, tel était le premier Indien qu'il rencontra.
– Approche, jeune papoose. Je ne te ferai aucun mal.
Son cœur battait à tout rompre, de la sueur perlait sur son front, mais c'est la poitrine réchauffée par le bonheur qu'il obéit. L'indien lui fit un signe de salutation, sa main allant de son propre ventre vers celui de Thomas pour ensuite retourner vers le sien. Le grand feu, l'Indien en chair et en os, il n'en croyait pas ses yeux. S'il rêvait, il priait pour ne jamais se réveiller !
– Tu nous prends pour des héros, des hommes qui ont défendu leurs terres et leurs coutumes face à l'arrivée des blancs, mais il n'en est rien. Nous ne sommes guère des Indiens comme tu l'entends, mais rien que des hommes entassés dans des maisons, des maisons qui nous ont ramolli, des maisons qui nous ont détruit. Lorsque l'homme blanc est venu, nous ne l'avons guère repoussé, nous l'avons accueilli à bras ouverts. Et ensuite il nous a détruits.
L’iroquois se perdit dans la contemplation des flammes. Comme Thomas brûlait d'en savoir plus sa main tremblante toucha le bras musclé de l'étrange personnage.
– Tu désires que je continue ? demanda-t-il.
Thomas hocha la tête.
– Très bien... Il y a plus de mille saisons, ma tribu, les Haudenosaunee, s'établit dans les fertiles terres du nord. Nous troquâmes les tentes en peau de yak par des maisons de bois plus longues qu'un arbre couché. Seul l'un des nôtres réalisa qu'en gagnant le confort, nous perdions tout ce qui nous rapprochait de la nature. Nous étions si bien protégés des animaux sauvages et des ennemis que nous nous refermions sur nous-mêmes.
– Qui... qui était-ce ? bégaya Thomas qui osait enfin parler. Qui refusait ce mode de vie ?
L'iroquois fit un geste évasif vers la lune.
– On l'appelait Lune d'Argent. Les plus jeunes d'entre nous le traitaient de sorcier. Il ne venait jamais aux réunions, refusait de loger dans une maison longue en compagnie de toute sa famille, dormant et mangeant dans une cabane rongée par les mites.
Soudain, une image nette se format dans l'esprit du jeune homme. Il vit une maison longue exactement telle qu'on les construisait à l'apogée de l'histoire des Cinq Nations. Elle mesurait cinquante, peut-être cent mètres de long, sept mètres de largeur et était aussi haute qu'un pavillon d'un étage. Des pieux plantés par centaines reliés deux par deux par des perches assuraient une structure remarquablement solide pour une construction n'usant ni pierre ni brique. Au sein d'un même village elles s'alignaient par dizaines, de la fumée s'échappant en continu de trous pratiqués dans le toit.
Au beau milieu de la plus petite d'entre elles, qui occupait déjà la surface au sol d'au moins , deux maisons actuelles, deux hommes discutaient passionnément devant un foyer, faisant de grands gestes avec les bras.
– Moi, le meilleur ami du chef, j'ai essayé de convaincre Lune d'Argent d'apprécier cette nouvelle vie, sans succès. Il me retournait argument sur argument, bonne pensée sur bonne pensée. Il savait que j'avais tort et au fil des lunes il finit par me faire penser comme lui.
Le toit de la maison de bois s'envola et les étoiles se déversèrent dans les yeux de George. Les deux indiens, allongés côte à côte, les regardaient intensément. Les myriades de petits soleils illuminaient la nuit sans lune. Sans elles, le ciel aurait été d'un noir d'encre.
– Il m'a appris à aimer le monde où nous vivons. Il m'a donné envie de voyager, et, surtout de ne pas faire comme tous les autres.
Le jour se leva. L'iroquois frappa à la porte de la plus grande maison du village. Un homme âgé lui ouvrit, le visage rayonnant.
– Le lendemain, j'essayai de raisonner le chef, de lui redonner goût à la nature, de faire renaître les traditions ancestrales – l'homme arborait un sourire triste – mais il ne m'a pas écouté. Je n'aurais jamais dû lui parler de cela. Mon vieil ami me faisait confiance, il voulait que je devienne chef le jour où il quitterait ce monde... il revint sur ses paroles. Son fils, bien pire que son père sur tous les points, prit sa suite et mon peuple s'éloigna de plus en plus de ses coutumes. Dans ma rage, je sortis du village et cherchai Lune d'Argent, mais il était partit depuis bien trop longtemps. La pluie et le vent avaient complètement effacé ses traces. Pour raviver sa mémoire, que tout ce qu'il avait fait ne fut pas chose vaine, je pris une craie et traçai un croissant de lune dans le sol de ma cloison.
Le bûcher réapparut. L'indien refit son salut de la main et s'en fut dans l'ombre. Thomas l'appela mais l'homme s'éloigna sans se retourner. Les flammes faiblirent et lentement s'éteignirent. Le jeune homme crut entendre un loup hurler au loin. Perdu dans le noir, il courut dans tous les sens, cherchant son chemin à travers la profonde forêt. C'était une merveilleuse nuit, bien meilleure que celles qu'il passait dans sa chambre riquiqui, à Berthierville, mais à présent il avait peur...
Thomas ouvrit les yeux. Il passa sa main sur sa tête : ses cheveux étaient tous mouillés. George courait après Theodore, lequel tenait un seau noir dans les mains...
– Cet idiot a voulu te réveiller à la dure... expliqua Abraham. Mais il avait raison. Tu as vu heure qu'il est ? On devait partir dès huit heures !
Thomas jeta un œil sur sa montre : onze heures passées ! Son rêve d'indiens avait donc duré si longtemps ?
Abraham reçut un jet d'eau dans la figure. Ni une ni deux, il sauta du socle et courut après son assaillant. Thomas laissa ces gamins s'amuser et ferma les yeux, tâchant de rassembler les bribes de son rêve. Mais déjà ses derniers souvenirs s'effaçaient et l'impatience de rejoindre ses amis prit le dessus. Il se leva et joua avec les autres.
Dans une latte de bois, juste en-dessous de son sac de couchage, resplendissait une grande lune d'argent.
 

 

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Commentaires
N
Je ne suis pas une adepte des nouvelles en temps ordinaire, mais j'avoue que les tiennes sont agréables à lire et tiennent en haleine. Tu sais manier les mots, le suspens, les revirements... Continue, tu as du talent ;)
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  • Fan de romans fantastiques et de SF sous toutes ses formes, j'aimerais partager avec vous ma passion de l'écriture. À la recherche d'un éditeur pour mon premier roman, la Libération de Seth, j'attends vos avis et vos conseils avec impatience.
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